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Rencontre avec le fils de Joséphine Baker à New York

Rencontre avec le fils de Joséphine Baker à New York

MEMOIRE. Elle devient une icône dès son arrivée en France après avoir fui son Missouri natal où la pauvreté et la ségrégation font rage. Danseuse, chanteuse, actrice mais pas seulement. Résistante et médaillée de guerre, l'artiste s'engage pour la France mais n'oublie pas les Etats-Unis. A New York, son fils, Jerry, nous raconte Joséphine Baker, sa mère aux deux amours et tellement plus.

 

 

By Marie Le Blé ...
Créé le 24/08/2020, 9 h 14 - Modifié le 26/08/2020, 19 h 48
Quand, à la porte de son restaurant, vous lui demandez d'expliquer l'origine de son nom, les yeux bleus du timide, Jerry Baker, soudain, s'illuminent. "C'est le nom de ma mère, Josephine", s'exclame-t-il, enjoué, avec la fierté d'un enfant.
 
Ouvert à New York, en 1986, par son "frère", Jean-Claude, aujourd'hui décédé, Chez Joséphine déploie son haut-vent rouge couleur cabaret, à deux pas de Times Square sous les yeux toujours curieux ou admiratifs des passants.
 
Il faut dire que rares sont ceux qui, en plein Manhattan, y compris chez les plus jeunes, ne connaissent pas l'icône noire américaine qui a épousé la France en 1937.
 
 
"Nous avons beaucoup de clients américains mais aussi beaucoup de visiteurs étrangers, raconte, Jerry, de son doux accent français. Tous veulent se remémorer ma mère."
 
Petit retour en arrière. Le petit bout de femme naît sous le nom de Freda Josephine McDonald, le 3 juin 1906, à Saint-Louis, dans une famille pauvre du Missouri, au sud des Etats-Unis. L'abolition de l'esclavage, en 1865, a laissé place à la ségrégation dont la suppression dans les années 60 est encore loin.
 
Joséphine, comme le reste de la communauté noire, souffre cruellement du racisme. "C'est inimaginable tout ce qu'elle a subi, déclare, peiné, Jerry. Elle s'en ouvrait à nous régulièrement." Mais la métisse afro-américaine, qui a aussi du sang amérindien, s'accroche à son rêve : devenir danseuse.
 
Avec un groupe d'artistes de rue, la fillette crée ses spectacles dès l'âge de 9 ans et montre déjà son talent, histoire de ramener quelques sous à la maison.
 
La misère et l'oppression la poussent cependant à fuir sa ville natale en 1921, direction New York où elle veut tenter sa chance.
 
Comme les prémices de son succès à venir, la jeune fille est retenue dans la première comédie musicale qui met en vedette des personnes noires, Shuffle Along.
 
 
"C'est là qu'elle rencontre une dame qui lui propose de l'emmener avec elle à Paris, raconte, non sans admiration, son fils. Cette femme lui avait dit qu'ils recherchaient, là-bas, une danseuse pour un spectacle."
 
Mais ses débuts en 1925 sont compliqués. Son spectacle au Théâtre des Champs-Elysées fait scandale jusqu'au jour où La Revue nègre la porte aux nues, peu avant qu'elle ne monte sur la scène des Folies Bergères.
 

Le miracle, soudain, se produit. Son déhanché, avec pour tout costume une ceinture ornée de bananes et des bracelets de perles aux poignets dans "Un vent de folie", en 1927, fait un triomphe.

Le tout-Paris est à ses pieds. Une légende est née, symbole des années jazz de l'entre-deux guerres. 
 
A son talent unique de danseuse de music-hall, Joséphine Baker ajoute, au début des années 1930, le chant. "J'ai deux amours" deviendra un éternel succès.
 

Puis, éclate la Seconde Guerre Mondiale. Joséphine Baker quitte alors ses habits de lumière pour s'engager, dès 1939, dans la Résistance. "Elle cachait des messages codés dans des partitions de musique", relatent des témoins de l'époque.

Dans un chateau, en Dordogne, les Milandes dont elle s'éprend avant d'en devenir locataire, l'artiste combattante cache des Juifs, des résistants et des armes. Elle militera aussi au sein de la Croix-Rouge française et s'engagera dans l'Armée de l'air.
 
Un engagement sans faille auprès de la France qui lui vaudra d'être décorée de la Légion d'honneur par le Général de Gaulle à l'issue du conflit. 
 
 
Accueillie en héros, la chanteuse et meneuse de revue poursuit son ascension vers les étoiles. Désormais connue pour sa générosité sans borne, elle décide, en 1947, d'acheter le château des Milandes avec son mari, le chef d'orchestre de jazz, Jo Bouillon.
 

C'est au coeur de ce domaine du Périgord qu'elle va réaliser son second rêve, adopter des enfants des quatre coins du monde en créant la fameuse "tribu arc-en-ciel." Pas moins de douze garçons et filles vivront sous l'aile protectrice de la star.

"Elle avait subi une opération pendant la guerre qui l'avait malheureusement rendue stérile, précise Jerry. C'est pourquoi, elle nous a adoptés." Né en Finlande, ce dernier comptera parmi les premiers enfants de la muse au grand coeur.
 

Les portes du domaine restent toujours ouvertes y compris aux plus grands qui rejoindront son nid. Jean-Claude Trouville, le fondateur du restaurant, en fera partie.

Né à Dijon de parents célibataires, il fera connaissance de la star à l'âge de 14 ans avant de prendre comme nom de scène "Baker" et aider l'artiste à la fin de sa carrière. Chanteur lui-même, il mettra fin à ses jours en 2015 dans sa maison de East-Hampton à New York.
 
Quelques années plus tôt, il avait co-écrit avec Chris Chase, une biographie de Joséphine Baker,"Hungry heart", "Le coeur affamé" paru en 1993.
 
"Je l'appelle mon frère car il vivait avec nous mais notre mère ne l'avait jamais officiellement adopté, sourit Jerry. Il s'étaient rencontrés à Paris alors que Jean-Claude était jeune groom. Après quoi, il avait rejoint la famille et vivait avec nous."
  
Les souvenirs entre les murs de l'édifice Renaissance, où Joséphine Baker fait aussi venir sa mère, y sont nombreux et délicieux. " C'était pour nous une maison, rien de plus ", se souvient, avec affection, son fils dont une grande partie des frères et soeurs vit toujours en France.
 
 
"Il nous arrivait de dormir dans la chambre de nos parents. On trouvait de la place par terre. C'était toujours très joyeux." 
 
L'aventure prendra malheureusement fin en 1969, année où la célèbre maman ruinée doit vendre son domaine. "Il y avait un entretien énorme et très coûteux, se remémore, nostalgique, son fils devenu new-yorkais. La propriété comportait même une église."
 
L'endroit, qui y retrace aujourd'hui la vie de l'icône et de sa famille, reçoit des visiteurs du monde entier.
 
 
De retour à Paris, la fratrie s'installe dans un petit appartement loin des vastes espaces du Périgord. "Nous vivions à l'étroit mais nous étions heureux. Maman s'occupait très bien de nous."
 
Ruinée, Joséphine Baker reçoit le soutien de nombreuses personnalités du show business. Brigitte Bardot qui, bien que ne la connaissant pas personnellement, lancera un appel aux dons en sa faveur à l'heure du journal télévisé.
 
La princesse Grace de Monaco lui proposera également son aide à Monaco où elle s'installera dans une villa avec ses enfants.
 
Son pays d'adoption lui a tout offert, la gloire, le mérite, la reconnaissance, y compris la consolation.
 
Après deux séjours artistiques aux Etats-Unis, l'un en 1936, le second en 1951, Joséphine, toujours confrontée à la ségrégation, se sent, en effet, délaissée par les siens.
 
Elle utilisera alors sa célébrité pour lutter contre le racisme et prôner l'émancipation des Noirs en participant notamment, en 1963, à la Marche de Washington pour laquelle, elle sera la seule femme à prendre la parole avec Martin Luther King. La combatttante prononcera son discours avec ses décorations militaires.
 
 
Au terme d'une carrière historique, l'irremplaçable danseuse de Saint-Louis s'éteint dans son sommeil le 15 avril 1975 suite à un malaise cardiaque. "Elle est partie en douceur et en paix, se rassure encore son fils. Elle n'a pas souffert."
 
 
Manuel, l'homme de confiance et nouveau propriétaire du restaurant aux accents de musée, poursuit le travail de mémoire entamé par Jean-Claude, aidé par Jerry, "là où, mentionnait, le New York Times, en son temps, la légende de Joséphine Baker vit encore !"
 
L'artiste et résistante, qui sera la première femme d'origine étrangère a recevoir les honneurs militaires, repose à Monaco mais sa famille "arc-en-ciel" ne désespère pas de voir, un jour, son illustre maman faire son entrée au Panthéon. " Ils y travaillent en France et nous y croyons".
 
Chez Josephine, 414 West 42nd Street, New York,, NY 10036. Tél. (212) 594-1925. www.chezjosephine.com 

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Galerie photos

Jerry Baker, le visage masqué, pose devant le restaurant, Chez Joséphine, créé, à New York, en hommage à sa mère. Marie Le Blé / The Daily View.
Jerry Baker à la porte du restaurant, Chez Josephine, resté à l'identique, à deux pas de Times Square, depuis presque trente-cinq ans. Marie Le Blé / The Daily View.
Ouvert en 1986, le restaurant, Chez Josephine, tente de traverser la crise due au Coronavirus en préparant des commandes et servant ses clients à l'extéreur. Marie Le Blé / The Daily View.
Jerry tient en main l'ouvrage Hungry Hearts (Le coeur affamé) écrit par son frère de coeur, Jean-Claude, devant le restaurant dont il assure aussi la continuité. Marie Le Blé / The Daily View.
L'un des nombreux portraits de Joséphine Baker devenue star dès ses débuts à Paris trône dans le restaurant qui lui est dédié. Marie Le Blé / The Daily View.
Jean-Claude Baker, de son nom de scène, dans la salle de son restaurant aux accents baroques dans lequel il avait voulu faire revivre la légende de Joséphine. The Daily View / Tous droits réservés.
La fameuse ceinture de bananes et les colliers de perles représentés sur une immense toile aux couleurs vives dans le restaurant honorant la mémoire de la star. Marie Le Blé / The Daily View.
Manuel, le nouvau propriétaire, sert une cliente, le visage masqué, sur la terrasse aménagée au sortir de la pandémie à New York. Marie Le Blé / The Daily View.
Manuel a découvert Joséphine Baker après de longues années passées à travailler aux côtés de Jean-Claude qui lui a confié les clés de la maison avant son décès. Marie Le Blé / The Daily View.
Manuel, le nouveau propriétaire, présente, pas peu fierté, la carte française de Chez Joséphine qui régale les New-Yorkais et des clients du monde entier. Marie Le Blé / The Daily View.
Originaire d'Equateur, Manuel, qui a travaillé dès son plus jeune âge Chez Joséphine, partage des racines amérindiennes avec la star dont l'âme habite son restaurant. Marie Le Blé / The Daily View.
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